Une association anti-tabagisme accuse des industriels du tabac de tricher sur les taux de substances dangereuses contenues dans leurs cigarettes…
Serait-ce le « DieselGate » du monde du tabac ? Une association antitabac a annoncé avoir porté plainte contre les quatre grands fabricants de cigarettes pour « mise en danger de la vie d’autrui ».
Le Comité national contre le tabagisme (CNCT) les accuse de tricher sur les taux de goudrons, monoxyde de carbone et nicotine de leurs cigarettes en « falsifiant » les contrôles. L’association dénonce un « filtergate ».
De quoi les cigarettiers sont-ils accusés ?
Selon le CNCT, il existe « de minuscules trous » dans les filtres de cigarettes qui permettent de « falsifier les tests » en agissant comme un « système de ventilation invisible ». « Ces microtrous ont pour seul objectif de frauder lors des contrôles par les autorités publiques. En laissant passer de l’air, ils diluent les substances dangereuses, ce qui permet d’afficher des taux de nicotine, monoxyde de carbone et goudron inférieurs à ce que les fumeurs inhalent réellement », explique Yves Martinet, président du CNTC, à 20 Minutes.
Ces microtrous mis en place pour ventiler l’air inhalé par le fumeur n’auraient pas systématiquement d’effet en conditions réelles. « Lors des tests, les substances sont mesurées par des machines. Or, elles n’inhalent pas comme les fumeurs », explique à 20 Minutes Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités à l’École des hautes études en santé publique. « Les fumeurs appuient avec leurs lèvres et leurs doigts sur le filtre et sur ces micro-orifices. En les bouchant, ils inhalent plus substances dans des quantités supérieures à ce qui est affiché par les industriels », poursuit la spécialiste du
tabac.
« Ce dispositif de micro-orifices dans le filtre des cigarettes empêche les autorités de savoir si les seuils de goudron, de nicotine, et de monoxyde de carbone qu’elles ont fixés sont dépassés », assure l’association, qui a déposé plainte le 18 janvier 2017 au parquet de Paris. Le CNCT assure que « la teneur réelle en goudron et nicotine inhalée par les fumeurs serait entre 2 et 10 fois supérieure pour le goudron et 5 fois supérieure pour la nicotine. Les fumeurs qui pensent fumer un paquet par jour en fument en fait l’équivalent de deux à dix ».
Or les taux de substances dangereuses ont un impact sur la consommation des fumeurs selon plusieurs spécialistes. « Cela a une influence colossale, les fumeurs choisissent des cigarettes light en pensent qu’elles sont moins nocives, à tort », déplore Bertrand Dautzenberg, pneumologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et secrétaire général d’Alliance contre le tabac.
« Des documents internes à l’industrie du tabac montrent que la cigarette dite légère était un outil marketing pour rassurer les fumeurs, en particulier les femmes, plus sensibles aux enjeux de santé selon des études de marché faites par les cigarettiers », abonde Karine Gallopel-Morvan.
Contre qui la plainte a-t-elle été déposée ?
Le CNCT porte plainte contre les filiales françaises des quatre grands cigarettiers, Philip Morris, British American Tobacco, Japan Tobacco International et Imperial Brands (dont Seita est une filiale). « Aujourd’hui, 97 % des
cigarettes comportent des perforations invisibles du filtre », souligne l’association.
Les cigarettiers accusés ont-ils réagi ?
Pas tous à ce stade. Contacté par 20 Minutes, Philip Morris France n’a pas souhaité commenter la démarche du CNCT. Également joint par 20 Minutes ce vendredi, British American Tobacco France dit avoir « appris la nouvelle par voie de presse. Nous n’avons, à date, rien reçu au sujet de cette plainte. Nous préférons attendre une information formelle pour décider des suites à donner ». Le cigarettier dit respecter « toutes les normes et réglementations en vigueur dans l’ensemble des pays où nos produits sont distribués ».
Que dit la loi en matière de composition des cigarettes ?
En France, les teneurs maximales en goudron, nicotine et monoxyde de carbone sont fixées par la directive européenne sur les produits du tabac appliquée depuis 2016. Elle oblige les fabricants et les importateurs de produits du tabac à fournir des informations aux autorités des États membres sur les ingrédients, les émissions et les données toxicologiques.
Une cigarette ne peut pas contenir plus de 10 mg de goudron, 1 mg de nicotine et 10 mg de monoxyde de carbone. Ces taux ne figurent plus sur les paquets depuis l’apparition du paquet neutre le 1er janvier 2017. L'UE a aussi fixé des normes standards pour encadrer les mesures de ces substances. En France, c’est le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) qui effectue ces contrôles avec une « machine à fumer ». « Les méthodes réglementaires utilisées pour le contrôle des cigarettes s’appuient sur des normes. Les analyses faites selon ces normes ne prennent pas en compte les éventuelles microperforations qu’il peut y avoir dans le filtre », indique le LNE à 20 Minutes.
« Il existe d’autres normes qui font des mesures par fumage intensif, c’est-à-dire en bouchant ces microperforations et en inhalant plus intensément. Elles ne sont pas en vigueur au niveau européen, mais elles sont à l’étude », poursuit le laboratoire. « Toute la question est : qu’est-ce qui est le plus représentatif ? Un fumage intensif ou réglementaire ? »
Pourquoi cette plainte intervient-elle ?
L’existence de « trous de ventilation » dans les filtres à cigarettes n’est pas nouvelle et elle est connue depuis longtemps. Elle date selon le CNCT de la fin des années 1950, au moment où les mesures du taux de goudrons et de nicotine ont commencé à être imposées aux Etats-Unis.
L’association s’est plongée dans les documents internes de l’industrie du tabac pour constituer sa plainte. Il s’agit de millions de documents internes et confidentiels que les principaux cigarettiers ont été obligés de publier dans le cadre de procès aux Etats-Unis, dans les années 1990. « Nous avons commencé à travailler sur cette plainte en juin 2017, cela nous a pris du temps car nous sommes une petite organisation », explique l’avocat du CNCT, Pierre Kopp, à 20 Minutes.
« Notre objectif, c’est qu’on en parle et que les Français comprennent que cette industrie les enfume sur ces taux, pour les rendre accros », affirme Yves Martinet. La France compte près de 16 millions de
fumeurs selon les autorités, et le tabac, responsable de cancers et de maladies cardiovasculaires, cause 75.000 décès par an dans l’Hexagone.
Source : 20 minutes