La cigarette électronique a trouvé sa place parmi les outils pour arrêter de fumer, estiment, dans une tribune au Monde, Bernard Basset (spécialiste en santé publique, président d’Addictions France) et Amine Benyamina (psychiatre addictologue, président de la Fédération Française d’Addictologie).
Ils déplorent l’intransigeance du Haut Conseil de la santé publique sur ce sujet.
La vapoteuse, improprement appelée
cigarette électronique, s’est considérablement développée pendant la dernière décennie.
La vape est utilisée par de nombreux fumeurs qui souhaitent mettre fin à leur addiction au tabac, et elle est souvent conseillée par des addictologues à leurs patients.
La relative jeunesse de ce dispositif et des pratiques qui l’accompagnent ont suscité tour à tour enthousiasme, prudence, voire méfiance sans que le débat ne soit clairement tranché, et le récent avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), le 4 janvier, ne va pas y contribuer.
Les experts du HCSP prennent position sur deux aspects de l’usage de la vapoteuse totalement différents : d’une part l’initiation au vapotage pour des personnes, essentiellement jeunes, n’ayant jamais fumé, d’autre part l’utilisation comme instrument de sevrage du tabac.
Sur le premier point, le consensus est général car personne n’a, à aucun moment, recommandé le vapotage récréatif.
Mais en ce qui concerne l’aide au
sevrage tabagique, le HCSP se livre à un raisonnement qui interroge. Il affirme que les risques du vapotage ne sont pas avérés, mais que la prudence s’impose, que les médecins ne devraient pas les recommander à leurs patients au détriment de traitements éprouvés (patch, médicaments), mais il laisse la responsabilité de leur usage aux personnes elles-mêmes.
Par un souci d’extrême précaution, le HCSP préconise ainsi de fermer les yeux sur une pratique très répandue.
En effet, si les conséquences des particules fines contenues dans la vapeur des vapoteuses ne sont pour l’instant qu’une hypothèse ou une piste de recherche, les méfaits de la combustion du tabac sont, eux, parfaitement connus et meurtriers.
Or se sevrer du tabac, qui doit être un objectif pour tous, est très difficile tellement le produit est addictogène.
Pour les fumeurs, quitter le tabac est un processus long, le plus souvent parsemé de rechutes, et ces derniers tentent de faciliter leur parcours par tous les moyens possibles.
Pour une grande partie d’entre eux, la
vape a constitué une aide précieuse, voire déterminante.
Il ne saurait être question de la parer de tous les attributs d’un remède miracle. Elle ne l’est pas, mais, dans le monde réel, elle a trouvé sa place parmi les moyens pour cesser de fumer. Et aucune maladie ou mort n’a jusqu’à présent été attribuée à l’usage non détourné de la vapoteuse.
On comprend mal dès lors pourquoi le HCSP fait preuve de tant d’intransigeance dans l’évaluation d’une balance entre risques graves et mortels du tabagisme et risques encore hypothétiques du vapotage.
On peut y trouver une explication dans les origines de la vapoteuse. Inventée en marge de la science par un pharmacien chinois inconnu, Hon Lik, elle a connu rapidement un développement exponentiel dans le secteur marchand et a pris de court à la fois les milieux scientifiques et les industriels du tabac.
Cette origine marchande pèse indiscutablement sur les représentations de la vape. Elles pèsent d’autant plus qu’un grand nombre de ses défenseurs ne sont pas exempts de liens d’intérêt avec les entreprises du secteur, y compris en France.
Par ailleurs, l’industrie du tabac a réagi en rachetant nombre de petites entreprises du vapotage (appareils et
eliquides), ce qui n’est pas fait pour rassurer quand on connaît leur pratique dénuée de toute éthique.
Enfin, l’environnement de dérégulation économique régnant aux États-Unis a conduit à des situations hautement contestables (promotion auprès des jeunes n’ayant jamais fumé, forte teneur en nicotine pour renforcer la dépendance du vapotage, produits design et marketing, etc...).
C’est dans ce contexte mêlant précaution scientifique et développement capitalistique que des fumeurs souhaitant arrêter doivent se débattre, puisque le HCSP exclut le vapotage comme moyen d’aide à l’arrêt sans toutefois recommander son interdiction, ce qui aurait été la suite logique de son raisonnement.
L’avis du HCSP pose à nouveau la question, toujours complexe, de la réduction des risques et des dommages. Celle-ci fait désormais consensus en tant que concept mais qui n’a pas toujours sa traduction dans les usages des personnes et dans la pratique des professionnels ; sans oublier le regard de la société qui se prête à toutes les prises de position politiques.
Nous connaissons les effets positifs de la politique de réduction des risques pour les usagers de drogues par voie intraveineuse (et pour le crack), mais pour autant, nous constatons qu’il est toujours compliqué d’offrir cette aide efficace à ceux qui en ont besoin.
La réflexion sur le
vapotage s’inscrit dans cette dualité de la réduction des risques et des dommages, entre la certitude des dangers du tabac et la crainte d’effets non connus à ce jour.
Le vapotage, les salles de consommation à moindre risque, la réduction des risques et des dommages causés par l’alcool sont autant de sujets qui mériteraient une réflexion d’ensemble pour sécuriser les pratiques des professionnels et, surtout, aider les usagers.
Le pragmatisme doit être la seule voie à suivre, loin des idéologies et de la recherche de profits.
C’est l’enjeu actuel pour la puissance publique, les acteurs de santé et les usagers, mais l’avis du HCSP ne contribue pas à l’affronter.